Le bandonéon : un peu d'histoire :
Le bandonéon est un instrument infernal. Il fut conçu et
fabriqué en Allemagne, à une époque où les choses étaient faites pour
durer, où le plastique n'existait pas. Les matériaux étaient nobles :
bois, métal, cuir, nacre... « Pour un bandonéoniste, l'instrument
devient comme son alter ego - il est en partie vous-même, et en partie
votre épouse. Cela a même une dimension homosexuelle. On se sent à la
fois possédé et possesseur, on le caresse, on connait sa température
». Rodolfo Medeiros.
Le tango est la seule musique qui soit si identifiée avec le
bandonéon qu’il est difficile de concevoir la musique de tango sans
lui. Le bandonéon fut le dernier instrument à être intégré dans les
premiers orchestres de tango, et il devint rapidement l'instrument
typique du tango argentin. Le bandonéon est un instrument à vent, avec des anches au milieu de
la boite qui produisent un son quand les soufflets poussent l’air
vers l’intérieur et l’extérieur. II fut inventé en Allemagne et
amené vers les ports de Buenos Aires et Montevideo dans les
dernières années du XIXème siècle, par des immigrants qui fuyaient
l’Europe vers le nouveau monde pour échapper à la pauvreté et aux
persécutions. II fut d’abord utilisé dans les églises d'Allemagne
qui n'avaient pas suffisamment de moyens pour se doter d’un orgue.
Les immigrants le ramenèrent dans leurs bagages en tant
qu’instrument portable destiné à accompagner le chant, mais il fut
probablement surtout utilise pour faire danser les polkas et les
valses.
L’introduction du bandonéon dans le tango fut l’un des évènements
les plus importants dans l’histoire de cette musique. L’une des
théories est que les musiciens qui jouaient de ce grand et bizarre
instrument avaient du mal à tenir la mesure rapide du tango
original, ce qui entraina un ralentissement de la musique pour
résoudre cette difficulté. Cela éloigna le tango du rythme 2/4 et
conduisit à adopter les rythmes 4/8 et 4/4, transformant ainsi une
danse vivante, gaie, en quelque chose de lent, d’intime et de
méditatif.
Les informations sur le créateur du premier bandonéon sont presque
aussi imprécises que celles concernant les origines du tango.
Certains créditent de cette invention Heinrich Band, qui à l’âge de
22 ans, prit la succession de la boutique d'instruments de musique
de son père à Krefeld, en Allemagne. En 1850, il diffusa une
publicité qui disait ceci : « Aux amis de
l’accordéon. Grâce à une nouvelle invention, nous avons
remarquablement perfectionné nos accordéons et ces nouveaux
instruments, ronds ou octogonaux, de 88 à 144 notes, sont
disponibles dans notre boutique ».
En 1856, dans la même ville, un certain Johan Schmita, un vendeur
d’instruments, fit l'annonce suivante : « Accordéons, concertinos
(aussi connus comme bandonéons) de 20-22 tons, avec des possibilités
de changement d'octaves qui surpassent tous les instruments à vent
portables qui ont été fabriqués jusqu'ici ». Le bandonéon a été
parfois appelé « le cousin de l'accordéon » mais son son est très
diffèrent. Certains, quand ils l'entendent pour la première fois, le
trouvent « étrange ».
Au premier regard, il ressemble à un
accordéon, avec un soufflet entouré de claviers verticaux des deux
côtés. Mais un examen plus attentif montre sa ressemblance plus
marquée avec le concertina, car, au lieu d'un clavier comparable à
celui du piano sur le côté droit et des boutons sur le côté gauche,
le bandonéon n'a que des boutons, des deux côtés du soufflet. Une
autre différence est que le bandonéon est joué posé sur les genoux,
alors que l'accordéon est suspendu autour de la poitrine. Il était,
et il est toujours, difficile de passer d'un instrument à l'autre.
Le bandonéon a la réputation d'être difficile à apprendre. Alors que
l'accordéon produit un accord en pressant un seul bouton sur le
clavier de droite, le bandonéon ne produit que des notes isolées
lorsque l’air passe à travers les tuyaux intérieurs. Cependant, la
difficulté du bandonéon tient surtout au fait que chaque bouton peut
produire deux sons très différents, selon que le soufflet s'ouvre ou
se ferme.
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Le son du bandonéon est différent à la fois de celui de
l’accordéon et du concertina. La construction de l'instrument est
différente par le fait qu'il possède deux tuyaux qui jouent en même
temps pour chaque note, l'un à la hauteur normale, et l'autre une
octave plus haut. La pression de l’air dans les soufflets fait
vibrer les tuyaux de métal (fermés par pression manuelle). L'autre
caractéristique forte du bandonéon est que les notes peuvent être
jouées avec des intensités variables, créant ainsi une gamme unique
de sons - du féroce au délicat. L'instrument peut même produire des
sons proches de la voix humaine, aussi appelés « pleurs ».
L'instrument originel avait 30 boutons produisant 60 sons, mais vers
le tournant du siècle, la version à 142 notes avec 71 boutons devint
standard en Amérique du sud (en Allemagne, le nombre de notes fût
même étendu à 152). Vers la fin de la première décennie du XXème
siècle, la fièvre du tango atteint un sommet à Paris. Les musiciens
français demandèrent des bandonéons plus faciles à jouer. Aussi,
quelqu'un inventa une disposition des boutons plus proches de celle
de l'accordéon chromatique utilise en France. II était beaucoup plus
facile à jouer car les boutons produisaient le même son, que les
soufflets s'ouvrent ou se ferment.
Mis à part le son, le bandonéon a
également une apparence particulière. Comme certains concertinas, il
est octogonal ou plutôt carre avec les quatre côtés coupés. Mais, à
la différence des concertinas, qui ont souvent des couleurs voyantes
- les bandonéons sont presque toujours noirs ou acajou, avec des
décorations discrètes de fils d'argent et d’incrustations de nacre.
Dans les premières années de son incorporation à la musique de
tango, le bandonéon était relégué à la simple interprétation de la
mélodie et n'avait pas de fonction rythmique. Mais une évolution
importante se produisit dans les années 1920, quand le tango évolua
vers l’interprétation d'arrangements plus sophistiqués. Les
bandonéonistes furent alors autorisés, et même encouragés par
certains directeurs d'orchestres, à inventer et embellir leur
interprétation. La main gauche commence, à construire des
successions d'accords élaborées, et à imiter la lourde percussion
des danses candombe des noirs, qui joua un rôle si vital dans les
origines du tango. Les orchestres de Julio de Caro et Pedro Laurenz
jouèrent un rôle particulièrement important dans l’évolution, en
introduisant des solos de bandonéons (..). Virginia Gift
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